Historique d’un chantier du Comité Consultatif Sentier de Montagne
Texte et photos © Patrice Ducoudray
En 2020 nous étions quelques uns dont Jean-Yves Demelun, adjoint au maire et vice-président du CCSM, à connaitre ce sentier pour l’avoir parcouru dans le passé. Le confinement imposé par la crise sanitaire nous a incités à redécouvrir cet itinéraire abandonné. Il est lui-même encadré par deux autres sentiers :
– à l’ouest par le sentier qui monte à Lachat d’en bas, et figurant sur le Tour du Pays du Mont blanc (TPMB), très fréquenté.
– à l’Est par le sentier de Reninge qui chemine sur les deux rives du torrent et aboutit sur la piste de Lachat d’en haut, délicat et exposé, non entretenu officiellement.
Mais c’est avec beaucoup de difficultés que nous en avons refait le parcours, à la descente d’abord, suite à de nombreux bouleversements de terrain. Certaines portions avaient même quasiment disparu.
Grâce à la carte IGN récente et le GPS nous avons pu retrouver ou reconstituer le tracé originel.
De nombreux thèmes agrémentent son parcours : géologie, flore, faune, sylviculture, histoire, économie.
C’est donc tout naturellement, sous l’impulsion de Jean-Yves, que nous l’avons proposé comme premier chantier à mener dans le cadre du Comité Consultatif Sentier et Montagne de la commune.
On obtient donc très vite le feu vert et formons une joyeuse équipe de volontaires pour exécuter les travaux nécessaires. La tâche est ambitieuse, mais la motivation et la détermination sont au rendez-vous. C’est ainsi que notre objectif est atteint fin 2022, ainsi que 3 séances de peaufinage en 2023, pour venir à bout des 2,4 kms de sentier sur 420 m de dénivelé.
Nous étions en moyenne 8 personnes sur les 20 séances de travail, comptabilisant ainsi une participation de plus de 600 heures, le tout dans une ambiance conviviale, néanmoins dotée d’une efficacité à toute épreuve. Une belle aventure humaine ainsi qu’une grande satisfaction quand nous aurons les premiers retours des randonneurs, enchantés par ce « nouvel » itinéraire.
Depuis l’été 2022 et jusqu’à ce jour, seuls quelques initiés ou locaux le suivaient, désormais, grâce à la signalétique en place, le grand public, d’ici et d’ailleurs, en profitera enfin.
Ce parcours sera prochainement inscrit au PDIPR : Plan Départemental des Itinéraires de promenade et randonnée, ce qui lui donnera une valeur patrimoniale et le préservera à l’avenir.
Il nous reste à contacter l’IGN pour une mise à jour de la carte correspondante, avec un surlignage couleur violet indiquant qu’il s’agit d’un itinéraire officiel, balisé et entretenu.
Ce parcours ne présente pas de difficultés particulières, mais se déroule sur un flanc de montagne à forte déclivité, nécessitant de l’attention et de la prudence.
Il offre une possibilité de rejoindre l’alpage de Lachat d’en Haut d’une manière à la fois insolite et originale : après une élévation raide d’environ 70 m en courts lacets escarpés, on découvre un profil moyen peu raide, très régulier, très agréable, s’étirant ainsi jusqu’aux derniers bancs rocheux supérieurs.
La suite se déroule dans une forêt constituée de différents boisements : zones mixtes de hêtraie-sapinière, zones de pessière-sapinière, peuplement d’érables dans les couloirs herbeux.
Des spécimens d’arbres remarquables en ponctuent le parcours : sapins ou épicéas de taille imposante, hêtres géants. D’autres curiosités se présentent en marchant : adaptation, lutte et compétition entre certains arbres pour aller chercher la lumière, blessures sur d’autres troncs mais cicatrisées au fil des années (résilience du végétal).
Cohabitation entre jeunes arbres et plus anciens, association entre le hêtre et l’épicéa, vieilles souches protégeant l’arbrisseau qui pousse en son centre et qui deviendra bientôt un arbre caractéristique « en échasse ».
Sans oublier que tous ces arbres contribuent à la formation et à la régénération du sol et du terrain, ainsi fixé naturellement.
En se faisant discret, on aura peut-être l’occasion de croiser chamois, bouquetins, chevreuil et cerf.
Sur le haut du parcours on aura le plaisir, en juin, d’apercevoir les premières orchidées, les lys de St Bruno et bien d’autre espèce florales, y compris une espèce de plante carnivore.
La richesse géologique du secteur ne saute pas immédiat aux yeux du promeneur mise à part le magnifique synclinal entrevu depuis la piste forestière de la Trappe mais grâce au QR code du panneau mis en place au départ, les amateurs en apprendront beaucoup plus, grâce aux compétences et aux talents pédagogiques du géologue Michel Delamette, qui collabore avec nous pour l’information du public.
Trois catégories de forêts sont traversées : privées, communales et domaniales.
La gestion de la forêt domaniale R.T.M. Passy est assurée par l’ONF en application du Code forestier car elle fait partie des forêts domaniales françaises
Un peu d’histoire :
Si le sentier du ravin de Reninge figure sur les relevés IGN de 1943, et même sur le cadastre de 1898, le sentier que nous avons réhabilité ne figure que sur des cartes relativement récentes, exemple celle de 1989.
D’après des recoupements de témoignages oraux, le sentier aurait été crée par le service des « Eaux et Forêts » après la seconde guerre mondiale.
En 1963, lors de l’arrivée des Harkis au camp de forestage de la Rippaz à Magland, ces hommes furent mis à la disposition de l’administration forestière.
D’après un document d’archives fourni par Mr Claude Lebahy, ingénieur ONF de l’agence d’Annecy, on apprendra que sur la commune de Passy, ils ont œuvré sur 104 kms de sentiers et chemins, 60 ha de plantations, 2880 m3 d’enrochement, blocage, gabions, façonnage et 12 ha de débroussaillement.
Sur le haut du sentier, vers 1400 m d’altitude, ils réaliseront des « banquettes » sur lesquelles ils planteront des arbres. Ces banquettes sont facilement repérables à l’alignement parfait des troncs sur 3 à 4 niveaux.
Leur action, sous la conduite des agents de l’ONF, contribuera largement au maintien d’une solide couverture végétale des sols, particulièrement sur ce versant de la rive droite du ravin de Reninge.
La plus grande partie de ce ravin se trouve sur le territoire de Passy, le reste sur celui de St Martin sur Arve.
Paul Mougin, ingénieur forestier a étudié et décrit ce torrent en 1914 :
« le torrent de RENINGES prend naissance dans les replis des AIGUILLES de VARENS (2541m)
Le cône de déjections se trouve sur la commune de SAINT-MARTIN tandis que le bassin de réception, d’une surface de 45 hectares, est sur celle de PASSY.
La longueur du cours d’eau étant de 4 kms, la pente moyenne générale est de 40 % mais, en réalité, le lit est formé de paliers de 100 mètres environ de longueur et de 15% d’inclinaison séparés par des cascades, dont la dernière mesure 105 mètres de chute
Par suite de la dénudation du bassin supérieur dominé par les falaises des Aiguilles de Varan, les eaux se rassemblent en un instant, chargées de débris schisteux arrachés par décapage et elles arrivent sous forme de bouillie noire dans le cône d’éboulis calcaires. Elles y empruntent quantité de gros matériaux, une lave roule à grand fracas jusque dans les villages de RENINGES et de SAINT-MARTIN, enlisant champs, prés et maisons, coupant les chemins et l’unique grande route établie sur la rive droite de l’ARVE.
Le 7 Août 1767, Horace-Bénédict de Saussure fut témoin de ce genre de lave : « Un danger plus extraordinaire que l’on court quelquefois sur cette route de Bonneville à Chamonix est celui d’être surpris par des torrents qui se forment subitement et descendent avec une violence incroyable du haut des montagnes qui sont sur la gauche de la grande route. »
A partir de 1890, une série de 21 barrages furent édifiés, pour casser la force de l’eau mais subirent régulièrement des dommages. Le 1er janvier 1993, un écroulement de la paroi de l’aiguille de Varan estimé entre 30 000 et 50 000 m3 et parti vers 2450 m d’altitude avec des blocs de près de 10 m, endommagera 3 barrages et recouvrira tous ceux de la zone supérieure, totalement invisibles depuis.
D’où l’intérêt pour les autorités de l’époque (1960/1970) de mettre à contribution cette main d’œuvre constituée par les Harkis, issus eux-mêmes de régions montagneuse, et parfaitement aguerris au difficile travail de forestage
Ainsi, de 1964 à 1970, la fréquentation intense et l’entretien de ce sentier le maintiendront en bon état.
Qui aurait pensé à cette époque que le labeur de quelques dizaines d’hommes nous permettrait aujourd’hui de flâner pour le simple plaisir des sens ?
En cela nous pouvons leur en être reconnaissants et ne pas les oublier.